FISCAL – Anticiper la réforme de la fiscalité pesant sur le patrimoine des ménages

Actualité Fiscal du 17 avril 2018

La loi de finances pour 2018 (LFI), la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 ainsi que les lois de finances rectificatives pour 2017 ont profondément modifié les règles d’imposition du patrimoine des ménages en instaurant un prélèvement forfaitaire unique (PFU) et en substituant à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), un impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Ces mesures sont globalement saluées par les chefs d’entreprise, qui devraient constater une réduction de leur taux effectif d’imposition.

Pourtant, une institution spécialisée du droit fiscal, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) accolé à la Cour des comptes, a rendu public au cours du mois de Janvier 2018 un rapport sur les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages.
Cet audit propose 10 pistes de réforme à moyen terme, afin de redonner du sens et de la lisibilité à ces taxations.

Généralement inspirant, le CPO pourrait ainsi avoir dressé une feuille de route qui rappelle par son ampleur, qu’en termes de fiscalité, l’anticipation et la restructuration éclairées sont les meilleures armes du contribuable.

Prise de pouls

Le CPO consacre son étude à trois grandes catégories d’imposition. La première est celle des revenus du patrimoine, la deuxième celle de sa détention et la troisième celle de sa transmission.

A chaque catégorie correspond deux prélèvements majeurs.

Ainsi, l’imposition des revenus fait appel à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et aux prélèvements sociaux.
Tandis que l’imposition de la détention vise la taxe foncière et l’impôt de solidarité sur la fortune (désormais impôt sur la fortune immobilière).
Les droits de mutation, à titre onéreux ou à titre gratuit, sont retenus pour l’imposition de la transmission.

Le CPO constate que le système de prélèvements actuel n’est plus cohérent avec ses objectifs, eux-mêmes hétérogènes. Il est dépassé par les évolutions sociétales.
Par ailleurs, les règles d’assiette et de taux sont complexes, non harmonisées et de fait, non acceptées par le corps social.
C’est en outre sans compter sur les dépenses fiscales et sociales, autrement appelées niches, dont l’esprit est positif mais dont l’efficacité est généralement déplorable.

Il en résulte que la neutralité fiscale dans le choix de l’allocation des ressources n’est clairement pas atteinte.

Si, au cumulé, le système offre bien une progressivité globale synonyme en France de justice fiscale, il peine à atténuer la concentration du capital et des revenus, dans une optique redistributive, à fluidifier les marchés et à réduire les inégalités transgénérationnelles.

Le CPO formule alors 10 propositions percutantes.

Aux grands maux, les grands remèdes

En termes de préservation, le CPO conserve de l’ancien monde fiscal l’exonération de la plus-value immobilière afférente à la cession de la résidence principale et la non-imposition des loyers implicites, du fait de leur inacceptabilité sociale.

Les changements suivent 4 axes :

1/ La prévisibilité : moins d’effets secondaires indésirables !

Il est conseillé au législateur fiscal de mener une réflexion globale à chaque réforme, afin d’écarter tout effet de sédimentation et de contradiction des règles.

C’est l’objectif initial de la réforme en cause qui doit alors servir de boussole. La neutralité fiscale ne doit être qu’occasionnellement abandonnée, à raison de certains objectifs prioritaires et de long terme. Des règles simples et prévisibles permettent en effet l’acceptabilité et l’efficacité de l’imposition.

Le second pan est dédié à la vaccination du contribuable : plus de remise en cause des situations légalement acquises … sauf justification par un motif d’intérêt général suffisant. Le CPO préconise ainsi la généralisation des clauses de grand-père, qui maintiennent en vigueur le régime antérieur pour toutes les situations en cours, définitivement ou pour une durée suffisamment longue, permettant les arbitrages sans précipitation ni préjudice.

2/ L’immobilier : un remède de cheval !

Puisque l’immobilier est central dans la conception française du patrimoine, et parce que sa valeur a cru bien plus rapidement que l’inflation, le CPO lui réserve la majeure partie de son étude.

En premier lieu, en termes de plus-value, il est proposé d’abandonner le régime des abattements pour durée de détention, qui conduisent à figer le marché immobilier entre 5 et 22 ans (exonération d’impôt sur le revenu) voire 30 ans (exonération de prélèvements sociaux), pour se contenter de l’application d’un simple coefficient d’érosion monétaire. En d’autres termes, plus de minoration artificielle de plus-value imposable, une simple actualisation de la valeur d’acquisition du bien suffira. Il faut dire qu’en 2004, l’instauration desdits abattements avait pour vocation de supprimer les effets de l’inflation, bien plus faibles désormais. A minima, le CPO propose que le rythme des abattements soit harmonisé, sur 30 ans bien sûr.

Perdre l’avantage du régime des plus-values immobilières des particuliers pourrait conduire de nombreux foyers fiscaux à repenser leur schéma de détention, ce que l’entrée en vigueur de l’IFI a déjà entraîné.

La suppression de l’abattement serait en outre dans l’air du temps, le PFU frappant lui aussi une assiette brute. Il y aurait donc là une logique économique, calquée sur l’inflation réelle, et fiscale, par une tentative d’harmonisation des règles d’assiette.

Ensuite, le calcul de la plus-value des loueurs en meublé serait également revu, au regard de l’avantage actuel de non-réintégration des amortissements pratiqués. Un nouveau régime de revenus fonciers absorberait la location nue et la location meublée. Le contribuable aurait le choix du micro-foncier, dont le taux d’abattement forfaitaire représentatif de frais et charges serait majoré, ou de la déduction des frais réels, mais sans déduction des amortissements. En contrepartie, la cotisation foncière des entreprises (CFE) ne serait plus due et les déficits pourraient être imputés sur le revenu brut global. Ici, le CPO craint que le taux de conversion de la location nue vers la location meublée ne vienne aggraver les pertes de recettes fiscales, dont les 2/3 proviennent de la seule application de la règle des amortissements.

Une telle réforme impliquerait, pour chaque foyer fiscal gestionnaire de son patrimoine immobilier loué meublé, une étude des conséquences fiscales et la mise en place de solutions adaptées au regard des objectifs personnels et des autres aspects de la réforme proposée.

Puis, l’assiette de la taxe foncière bénéficierait de la révision des valeurs locatives cadastrales des locaux d’habitation, avec tout un cortège de mesures de transition (lissage, péréquation, neutralisation, mise à jour des informations etc.).

La taxe foncière est en effet aujourd’hui régressive au-delà d’un certain revenu fiscal de référence. En outre, l’absence de révision des bases depuis plus de 40 ans se traduit par de fortes disparités d’assiette et, pour compenser la faiblesse des bases, par de forts taux d’imposition.

A plus long terme, il est envisagé d’étudier la faisabilité d’imposer non une valeur locative, fonction de l’état du marché de proximité, mais la valeur vénale du bien, de manière similaire à l’IFI. L’appréciation de ladite valeur semble toutefois nettement plus litigieuse.

Enfin, l’alourdissement de l’imposition des plus-values devrait s’accompagner d’un allègement des droits de mutation à titre onéreux, au regard par exemple de la nature de résidence principale ou non du bien, ou encore en fonction de sa valeur. Le CPO va même jusqu’à supprimer cette taxation en la reportant purement et simplement sur la taxe foncière, tout en prenant garde de ménager l’autonomie fiscale des collectivités publiques locales.

3/ La neutralité : consommer varié, sans indication ni contre-indication !

En ces temps de promotion du financement de l’économie réelle, le CPO s’étonne de la coexistence d’autant de régimes fiscaux propres à un produit d’épargne ainsi que de la concurrence entre investissement économique fiscalement neutre et investissement sans risque pourtant exonéré d’impôts voire de prélèvements sociaux.

Il propose en premier lieu une réduction des plafonds de l’épargne réglementée, excédant tout à la fois les besoins de fonds publics (logement social par exemple pour le livret développement durable solidaire – LDDS) et les capacités d’épargne moyennes des Français. A tout le moins, la fraction excédentaire pourrait ne plus bénéficier d’exonérations.

Il convient ainsi de réintroduire de la cohérence dans le régime des produits d’épargne pour restituer à certains leur nature de placement de longue durée. S’ensuivrait une réallocation des ressources sur des produits bloqués à détention longue, plus rémunérateurs. Les effets sur les finances publiques seraient faibles, mais les effets économiques seraient sensibles.

L’assurance-vie n’échappe bien évidemment pas à l’auscultation. Le CPO salue le premier pas réalisé par la LFI s’agissant des encours supérieurs à 150 000 €, dont les revenus sont soumis à la flat tax. Mais l’institution va plus loin, en proposant que tout revenu issu des nouveaux versements sur ce support relève du PFU, quel que soit l’encours, ceci dans une optique de neutralité fiscale et de redistribution de la richesse.

Enfin, l’avantage fiscal du taux réduit en matière d’assurance-vie ne serait plus lié à l’âge du contrat, mais à l’âge du versement. Il ne suffirait alors plus de prendre date. L’abattement de 4 600 € pour une personne seule ou de 9 200 € pour un couple serait supprimé, afin de lier strictement le régime fiscal à la durée de détention. La même logique et la même durée de 8 ans seraient retenues, de manière harmonisée, pour d’autres produits, au premier rang desquels le PEA. Ceci n’est évidemment pas sans poser de grandes difficultés en matière de suivi des dates de versement, pour déterminer la taxation applicable.

4/ La transmission : favoriser la propagation !

Le régime actuel, au demeurant très instable, des droits de mutation à titre gratuit (DTMG) n’encourage pas la transmission entre vifs. Ceci repousse l’âge de transmission et renforce les inégalités du fait de l’accumulation du patrimoine. Il est ainsi proposé d’alourdir l’imposition des successions et/ou d’alléger celle des donations, afin que les ménages planifient sur le long terme la transmission du patrimoine familial.

Il est en effet possible de chiffrer précisément le coût d’un transfert patrimonial, voire de le réduire, parfois de manière importante. Encore faut-il, bien évidemment, aborder la question avec son conseil et profiter de son expertise, afin de garantir la satisfaction de tous les objectifs personnels, familiaux, patrimoniaux.

Ensuite, afin d’atténuer la dynamique de concentration du patrimoine, les barèmes de transmission en ligne directe et indirecte seraient rapprochés, pour imposer davantage les successions. En clair, le barème en ligne direct serait revu à la hausse, le barème en ligne indirect étant déjà l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE. En effet, la part de l’héritage dans la constitution du patrimoine a fortement augmenté avec les décès de la génération « baby boom » et la réduction du nombre d’enfants par famille. Le barème en ligne indirect étant déjà l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE, il ne serait pas modifié. Le barème en ligne direct serait revu à la hausse.

Les taux d’imposition effectifs sont très faibles (en moyenne 5 %) au regard des multiples exclusions de l’assiette. Le CPO constate d’ailleurs à cette occasion que le régime français du pacte Dutreil, permettant la transmission d’entreprise à moindre frais, est plus souple et avantageux que ses pairs européens. Il est d’ailleurs prévu de le renforcer encore, en supprimant les obligations déclaratives dès l’adoption de la loi PACTE, courant 2018. Plus que jamais, ce pacte est un instrument incontournable de la boîte à outils du chef d’entreprise.

Seraient également supprimés l’exonération partielle des bois et forêts mais aussi et surtout l’avantage successoral de l’assurance-vie, la transmission en ligne directe étant déjà suffisamment favorisée. Par ailleurs, cet avantage n’inciterait pas au recours des donations entre vifs.

Le CPO invite ensuite à réfléchir à la possibilité de long terme de construire une fiscalité des transmissions propre à l’héritier. Cela consisterait en un changement de paradigme, avec abandon de chaque taxation relative au transfert de l’actif successoral. En d’autres termes, il s’agirait d’imposer l’individu au regard de l’ensemble cumulé des sommes perçues au cours de sa vie, afin d’éviter les distorsions entre bénéficiaires d’une même somme mais provenant d’une ou de plusieurs successions distinctes. Ceux qui auraient le moins reçu seraient ainsi fiscalement avantagés par toute nouvelle perception.

Enfin, il conviendrait d’étendre au cas des familles recomposées les régimes de transmission applicables à tout enfant du donateur, issu de toute union, et notamment au profit des enfants du conjoint du donateur.

Auteur : Rudi FIEVET – Juriste droit fiscal – droit des affaires